Les cacahuètes de Rahan

Revenons tout d’abord en 1977 : le Pif N°423 propose un gadget végétal, les graines de cacahuètes. (voir photos)
La dessus rien de spécial, des graines à faire pousser, comme il y en a déjà eu et comme il y en aura d’autres par la suite. (Personnellement je suis attaché à ces gadgets vivants qui me fascinent).

Les années passent et voilà que 3 ans plus tard en 1980, l’équipe rédactionnelle s’arrache les cheveux pour sortir les gadgets du bimestriel RAHAN. Et oui tout comme les gadgets Pif, les gadgets Rahan demandaient bien des efforts de recherches et de mise au point. Même si la parution de Rahan – 2 mois – laissait plus de temps, il restait compliqué de les mettre au point. Raison pour laquelle l’équipe gadget travaillait sur plusieurs gadgets en parallèle pour intervertir un gadget à la place d’un autre, si besoin quand celui prévu n’était pas prêt à temps.

Oui mais voilà, le Rahan bimestriel N°16 prévoit comme gadget « le dard qui troue », une grappe en plastique à laquelle est jointe une ficelle et une pointe en métal. Le gadget veut représenter un outil que l’on fait tourner manuellement pour opérer un petit trou dans un bâton, os, coquillage, ou couture de vêtement à la manière des hommes préhistoriques. Et on le sait, dès qu’un gadget se compose de plusieurs matériaux, il implique plusieurs fournisseurs, donc une logistique et des délais multipliés. Dès le départ c’était compliqué, mais pas impossible.

Puis à cela s’ajoute les normes de sécurité jouets, qui évoluent, et pour l’instant le prototype fourni au laboratoire d’analyse ne remplit pas le cahier des charges (la pointe en métal est en cause). Bref les délais avancent et le gadget n’est pas prêt.

Le gadget « le dard qui troue » sera reporté au numéro suivant RAHAN N°17.

Bref ce n’est pas la première fois, l’équipe se réunit en urgence pour trouver dans des délais raccourcis un gadget de remplacement. Mais là encore, un souci se pose : aucun des autres gadgets Rahan en cours d’étude n’est prêt… il va falloir trouver du simple de chez simple sur ce coup là.

C’est alors que quelqu’un propose une idée : « et pourquoi pas un gadget végétal ? » – on pense tout de suite au Pif 423 et les graines de cacahuètes.

Tout le monde aquiesce, ça sonne juste avec le personnage, observateur de la nature et qui partage ses découverte pour faire des récoltes. De plus les délais sont tenables pour commander des cacahuètes disponibles rapidement sur le marché.

Et voilà donc la solution de remplacement validée, le gadget Rahan N° 16 sera : « Les cacahuètes de Rahan ». Ouf !

La solution de remplacement étant trouvée, aussitôt le service graphique s’active pour mettre en scène le gadget en photo au dos de la couverture, dans la foulée le contenu rédactionnel doit être réécrit. De son côté la logistique commande les graines de cacahuètes. Tout se remet en ordre, y compris les analyses laboratoire à lancer pour ce gadget végétal.

Et là encore, un imprévu va donner la fièvre à toute l’équipe : entre le pif de 1977 et ses graines et le nouveau Rahan de 1980, les normes ont évolué. Désormais des tests phytosanitaires sont applicables, des tests de migration de 15 jours simulant l’ingestion dans l’estomac d’un enfant, …, bref ce qui était une bonne solution devient un vrai cauchemar. On se pose la question d’une autre ultime solution de remplacement si les tests échouent : un gadget simple – un poster de Rahan ? …

On contacte le dessinateur André Chéret, mais celui-ci est cloué au lit par une angine blanche, incapable de dessiner. Il ne reste plus d’option… On attend fébrilement les résultats des tests sur les cacahuètes, on prie que tout se passe bien car c’est la dernière solution. Lors d’une réunion de crise, la question de pose d’annuler la parution RAHAN N°16 ou de paraître sans aucun gadget – une première !

Devant l’incertitude générale, le directeur commercial aura un geste symbolique mais puissant : il empoigne des cacahuètes et les croque de ses puissantes mâchoires, toutes entières avec l’écorce. Devant l’assistance médusée il dira : « et voilà, je suis en bonne santé, je ne suis pas mort ! ».

Le lendemain les résultats arrivent et ouf – les analyses sont conformes aux normes !

On respire chez Vaillant.

Chez Condiplast les magazines arrivent avec leur gadget, les fameuses graines de cacahuètes, pour mettre le tout sous cello pour livrer aux libraires dans toute la France. C’est un gadget un peu inédit pour Rahan mais ça ira.
Mais un dernier coup de théâtre va définitivement tout faire basculer vers une situation catastrophique…

A ce moment là tout est prêt, des exemplaires du Rahan 16 sous cello arrivent à la rédaction pour pure formalité et dernière vérification. Et…et…voilà qu’une certaine Nicole de la comptabilité passe déposer des factures et tombe sur les exemplaires tout frais du Rahan 16 et s’exclame, choquée : « Mais vous n’allez quand même pas sortir ça ? Les cacahuètes de Rahan !!! C’est carrément déplacé pour un magazine de jeunesse ! Autant mettre le mot « couilles » ce ne serait pas plus explicite !»

Et là, le monde s’écroule… Chez Condiplast toute la ligne de production a placé le gadget non pas au dos, mais… devant la couverture !

L’allusion est si évidente et à la fois si graveleuse, que personne ne l’avait vu venir : les cacahuètes de Rahan se retrouvent sur l’illustration SOUS les parties du héros – un scandale visuel !!! Tout le plan de sauvetage s’écroule et il devient vite impensable de sortir le Rahan N°16 en l’état.
Nouveau coup dur, nouveau revirement, tous les Rahan doivent passer au pilon, et il faut trouver – encore dans l’urgence – une solution de remplacement.

La suite est moins glorieuse : un collègue de l’équipe marketing, grand amateur des forains, trouvera un stock de serpents en plastique qu’on habillera vite sous le gadget « Le Boak », c’est pourquoi il ne sera pas marqué RAHAN, mais Hong Kong.